Burkina Faso : des groupes d’autodéfense défient les forces de sécurité

Article : Burkina Faso : des groupes d’autodéfense défient les forces de sécurité
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19 février 2016

Burkina Faso : des groupes d’autodéfense défient les forces de sécurité

On a frôlé l’affrontement le 18 février 2016 entre des structures d’autodéfense appelées « koglweogo » et des forces de sécurité dans la province du Ziro, dans la région du centre-ouest du Burkina Faso. Une situation qui rappelle au gouvernement la nécessité de trouver une solution pour ces structures d’autodéfense sans compromettre la sécurité du pays.

Ils sont applaudis par les populations, décriés par les spécialistes du droit et susceptibles d’être recadrés par les autorités. Eux, ce sont les « koglweogo ». Face à l’impuissance de la police à mettre fin aux vols et braquages à répétition dans les différentes localités du pays, les populations ont pris les devants. Elles se sont organisées en instaurant leur propre « police » : les « kolgweogo ». Ce terme, en langue moré, signifie littéralement « protéger de la brousse ». Ce sont des groupes d’individus chargés de démasquer et d’arrêter les braqueurs, « coupeurs de route » et autres délinquants. Alors que le gouvernement réfléchit sur la façon de les mettre en conformité avec la loi, un incident les a opposés le 18 février aux forces de sécurité à Sapouy suite à l’arrestation d’un présumé voleur de bœuf. Les choses sont rentrées dans l’ordre sans affrontement, mais cet incident montre qu’il y a urgence à agir.

Les pratiques des koglweogo sont de plus en plus décriées
Les pratiques des koglweogo sont de plus en plus décriées

De l’impuissance de l’Etat

« Si on ne fait pas attention, viendra un jour où même si on mettait un commissariat de police devant chaque concession, on ne pourra pas arrêter les voleurs et les bandits de grands chemins », disait Norbert Zongo. L’Etat, qui doit assurer la protection de ses citoyens, a du mal à remplir ce devoir. Les forces de l’ordre sont le plus souvent absentes des zones où les malfrats opèrent. Et quand elles sont présentes, elles sont mal équipées ou en sous-effectif. Des commissariats de police et des brigades de gendarmerie ont été installés dans certaines localités pour lutter contre le grand banditisme. Mais mal équipés, policiers et gendarmes sont sans force. Souvent moins armés que les malfrats, les policiers ont peur de les affronter. « Quand on appelle les forces de sécurité pour un cas de braquage, ils traînent avant d’arriver, de sorte à ne plus avoir à trouver les braqueurs dans la zone », expliquait un habitant de la région de l’Est du Burkina. « Souvent, quand on les [les braqueurs] arrête, quelques temps après, on les libère. Et ceux qui les ont dénoncés sont maintenant en insécurité », soutient un autre policier, qui doute de la volonté de la justice et de sa capacité face au banditisme.

Tout cela a conduit les populations à vouloir prendre en main leur sécurité. Sur le terrain, les populations locales apprécient ces milices d’autodéfense. Depuis leur constitution, les actes de braquage ont connu une forte baisse dans certaines localités. Les milices sont sans pitié pour les braqueurs et autres bandits de grand chemin. « Ce sont eux qui ont fait reculer le vol ici. Il y a des lieux où, aujourd’hui, si votre argent tombe au marché, même si on ne vous retrouve pas, les gens vont le ramasser et le remettre au kolgweogo », déclare A. Ouédraogo. Beaucoup de citoyens burkinabè les applaudissent, les résultats étant selon eux « probants ». D’autres, par contre, sont indignés par la forme que ces groupes d’auto-défense ont prise.

Des abus

Le problème, c’est que certains de ces groupes fonctionnent sans aucune base légale. D’autres agissent au mépris des règles du droit. Ils sont aussi accusés d’abus par leurs victimes et les spécialistes du droit. Certains présumés braqueurs n’ont pas résisté aux sévices qui leur ont été infligés. Les milices arrêtent les voleurs, les bastonnent et leur font payer des amendes.

«Les gens s’y sont organisés en association et tiennent des réunions. Ils auraient même fixé des amendes de l’ordre de 15 000 à 1000 000 FCFA, lorsqu’ils prennent quelqu’un qui semble avoir posé un acte répréhensible et cette association commence à bien vivre sans récépissé », déclare un responsable administratif dans la région du Centre-Est.

Ainsi s’est constituée une justice parallèle. Pour les syndicats des magistrats, « il est bien de noter que ces structures ont institué une justice privée dans laquelle elles assurent les fonctions de police judiciaire, de poursuites, de jugement et de détention pénitentiaire, le tout sur la base de « leurs propres lois. » C’est pourquoi ils demandent la suppression pure et simple de ces structures. Le comité intersyndical des magistrats s’interroge sur la volonté affirmée des pouvoirs publics de reconnaître de telles structures alors même qu’elles sont illégales par nature, que leur action est basée sur la violation de la constitution, des lois et règlements, et leurs prouesses fondées sur la négation répétée et continue des libertés et des droits fondamentaux. Mais les groupes d’autodéfense ont une histoire.

L’histoire des kolgweogo

L’expérience de ces groupes d’auto-défense viendrait de la région du Nord du Burkina, selon un consultant du ministère de la sécurité intérieure en charge de la police de proximité. « L’histoire des koglwéogo remonte à l’époque où nous avions mis en place le premier plan quinquennal de la police de proximité (dès 2005, ndlr). Effectivement, en son temps, dans le Yatenga, la zone était infestée de délinquants rendant toutes les activités économiques difficiles. Ces structures ont donc collaboré avec policiers et gendarmes et les résultats étaient vraiment salutaires. Ce qui a valu aux koglwéogo de Ouahigouya la médaille d’honneur de la police, pour cause d' »activités bien menées » », déclare Nanoussa Gansoré. Selon ce dernier, l’implication de ces structures comme police de proximité avait permis d’engranger de bon résultats.

L’action réelle de ces koglwéogo ne consistait pas à attraper un délinquant, de le juger mais à faire un diagnostic sécuritaire de chaque localité et de s’asseoir ensemble pour trouver des solutions. Etant donné que, dans la lutte contre l’insécurité, la prison n’a jamais apporté de solution et que l’emprisonnement génère actuellement plus de problèmes qu’il n’en résout. Travailler à éradiquer les causes fondamentales de l’insécurité constitue le véritable défi à relever, et c’est la raison de la présence de la police de proximité et des koglwéogo.

Encadrer ou supprimer les koglweogo ?

Aujourd’hui, l’Etat est face à sa responsabilité. Supprimer ou encadrer les structures d’autodéfense ? Le gouvernement semble opter pour la seconde possibilité. Si les structures d’autodéfense veulent continuer à exister, elles doivent se conformer à la loi.  «Les koglwéogo sont utiles, à condition qu’on les mette sur les rails, qu’ils exercent dans un cadre légal et qu’ils n’outrepassent pas leur compétence », a déclaré le ministre de la sécurité intérieure, Simon Compaoré. Et d’ajouter : « ce sont des initiatives qui, à l’heure où nous parlons, sont intéressantes. Mais, ce sont des initiatives qu’il faut canaliser : former, contrôler, suivre, etc. »

Pour le consultant du ministère de la sécurité au titre de la police de proximité, ces structures peuvent être bien encadrées et jouer le rôle de police de proximité. « Déjà à travers la loi 032 (qui porte la police de proximité) et le décret 45, qui organise justement ces communautés-là, on constate que le cadre existe. Il ne reste qu’à travailler à ce que l’on adopte le décret, du moment que la stratégie nationale de sécurité a été adoptée et qu’elle intègre les initiatives locales de sécurité. Donc, comme le cadre réglementaire et légal existe, il suffit juste de sensibiliser les populations, de leur proposer un mécanisme organisationnel et de rendre officielle leur existence ». Le débat se poursuit donc, mais il est urgent de trouver une solution à cette situation, afin que les dérapages cessent.

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